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La protéine joyeuse
Longtemps, on a cru que les molécules n’avaient pas d’identité. Aujourd’hui, on pense qu’elles peuvent en avoir une. Deux protéines, par exemple, identiques sur le plan de la composition, se distinguent par leur configuration spatiale et cette configuration n’est pas aléatoire mais semble correspondre à une fonctionnalité, voire même à un « caractère ». Comme chez les nains de Blanche-neige, il y aurait des protéines paresseuses, des protéines timides, des protéines joyeuses… Les particules élémentaires, en revanche sont considérées comme parfaitement identiques les unes aux autres et donc interchangeables. Prenez un proton et vous avez vu tous les protons de l’univers.
Au fond, n’est-ce pas un peu curieux ? Car cela signifie que ces entités ne sont en rien marquées par leur histoire. Un proton qui a vécu dix milliards d’années dans une étoile et se retrouve éjecté lors de l’explosion de l’astre serait en tous points identique au proton qui a flotté dans le vide interstellaire depuis sa formation, quelques secondes après le Big Bang. Etrange imperméabilité des particules. Impavidité quasi bouddhique !
L’identité chez les animaux semble moins problématique. Chacun sait qu’une chatte reconnaît ses petits (et si elle ne le peut plus, c’est le signe infaillible d’un chaos extrême). Les mésanges bleues reconnaissent leur partenaire grâce aux différences de plumage visibles dans l’ultraviolet. Mais qu’en est-il des fourmis ? Des amibes ? Nous ne savons pas si les fourmis se reconnaissent individuellement. Mais elles identifient très bien – grâce à des molécules présentes sur les antennes - tout individu appartenant à la même colonie, celle-ci fut-elle étendue sur plusieurs milliers de kilomètres, alors qu’une fourmi appartenant à une colonie étrangère fera immédiatement l’objet d’une attaque en règle. Quant aux amibes, disons-le tout net, nous ne savons rien de leur éventuelle individualité.
L’identité serait-elle un concept qui émerge de la complexité ? C’est une idée que l’évolution des productions humaines elles-mêmes tend à accréditer. Personne n’aurait l’idée de considérer que sa voiture est interchangeable avec celle du voisin, fut-elle de la même marque et de la même couleur. D’ailleurs elle porte un numéro de châssis, c’est bien la preuve. De même pour les ordinateurs, ils portent un numéro de série, et certains utilisateurs – d’ailleurs plutôt les informaticiens que les autres – semblent avoir tendance à croire que leur matériel est doué d’une sorte de « personnalité » en vertu de laquelle il faut savoir l’approcher « avec psychologie » pour obtenir une collaboration optimale. J’en connais qui flattent leur machine comme un cheval à l’encolure, d’autres qui lui parlent, la menacent, la bichonnent, enfin le même cirque qu’avec les voitures. En revanche, les gobelets en plastique et les tickets de métro sont aussi dépourvus d’identité que les protons eux-mêmes.
Alors, où commence-t-elle, la personnalité ?
Dans les méandres des circuits informatiques/biologiques/moléculaires ? Il semblerait bien que les méandres soient l’élément déterminant, en effet. Chacun peut reproduire un Mondrian, mais il est fort celui qui peut copier un Salvador Dali.